Anax parthenope, donnée précoce à Miribel-Jonage (Ain)

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Anax parthenope, donnée précoce à Miribel-Jonage (Ain)

Lors d’une prospection à la recherche d’Anax ephippiger le 12 avril dernier au Grand Parc de Miribel-Jonage, nous avons fait une observation pour le moins surprenante !

Par un temps ensoleillé et des températures avoisinant les 20 °C, les conditions étaient idéales pour chercher Anax ephippiger (Burmeister, 1839).  Nous avons prospecté du côté de la Vorla et plus particulièrement sur le lac de la Droite, un secteur du parc situé dans l’Ain, sur la commune de Miribel. Dans un premier temps, nous avons observé des individus d’Enallagma cyathigerum et d’Ischnura elegans, immatures pour la plupart.
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Le lac de la Droite (photo R. Krieg-Jacquier)

En milieu d’après-midi, nous apercevons un individu d’Aeschnidae avec une selle bleue sur la face dorsale de la base de l’abdomen. L’individu vole à proximité d’une roselière.
https://sympetrum.s3.eu-west-3.amazonaws.com/mediatheque/louest-du-site-1714552067862-758742058-800x370.webpLa roselière vue de l'ouest (photo R. Krieg-Jacquier)

Dans l’Ain, la seule espèce avec laquelle il est possible de confondre A. ephippiger en vol est Anax parthenope (Selys, 1839). Les deux espèces possèdent justement cette selle bleue sur la face dorsale de la base de l’abdomen. Or, d’après Boudot et al (2017), en France, A. parthenope n’émerge qu’à partir de mai dans le sud et à partir de juin dans le nord. La base de données du groupe Sympetrum nous donne le 15 mai comme date la plus précoce d’émergence dans l’Ain. Pour la Drôme, beaucoup plus au sud, la donnée la plus précoce d’émergence date d’un 10 mai, en Isère un 15 juin, et encore plus tard dans les autres départements. Étant donné la période de prospection, la taille de l’individu et son aspect trapu, notre première hypothèse d’identification est A. ephippiger, sans cependant pouvoir le confirmer avec certitude.
https://sympetrum.s3.eu-west-3.amazonaws.com/mediatheque/lest-du-site-1714552087998-344234015-800x370.webpLa roselière vue de l'ouest (photo R. Krieg-Jacquier)

Un tandem d’Aeshnidae fait ensuite son apparition et se pose, ce qui nous permet de le prendre en photo. Les yeux vert vif chez le mâle et la femelle nous permettent entre autres critères d’établir que les individus du tandem appartiennent à l’espèce A. parthenope. Il s'agit donc de la donnée la plus précoce en Rhône-Alpes, la plus proche étant un 17 avril en Ardèche, mais deux données du 12 avril 2016 au lac de la Droite et à celui des Pêcheurs (Miribel) sont en cours de vérification.

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La durée de la phase de maturation d’A. parthenope n’est pas connue. En revanche, les études sur A. imperator montraient un minimum de 9 jours de maturation pour le mâle et de 12 jours pour la femelle (Corbet, 1957) avant les premiers comportements reproducteurs (11 et 15 dans Corbet, 1999)...

Il est possible, voire probable, que ces individus aient émergé plus au sud avant de remonter vers l’Ain. Si cette hypothèse est valide, cela pourrait apporter du brassage génétique au niveau des populations locales.

Il est possible que le changement climatique conduise à des observations plus précoces d’odonates. Néanmoins on recense plus de trente données d’A. parthenope en France entre le 17 mars et le 15 avril depuis 1989. Jusqu’en 2024, toutes ces données provenaient du sud de la latitude d’Arles (Bouches-du-Rhône). Il s’agissait toujours d’individus matures avec des comportements de reproduction (accouplements et pontes) notés à partir du 14 avril.  Les données les plus précoces sont le 17 mars 2018 à Salses (Pyrénées -Orientales) et le 21 mars 2021 à Mireval (Hérault), parfaitement documentées. En 2024, une observation du 14 avril à Méréville (Meurthe-et-Moselle) constitue la donnée la plus septentrionale pour cette période de l’année à ce jour.

Ces données précoces sont sans doute à lier aux épisodes de vents venus du Sahara (sirocco) porteurs de “sables” orangés, en réalité des argiles et des limons. communs sur les rivages français de la Méditerranée et dans la vallée du Rhône, surtout au début d’avril où ils s’accompagnent souvent d’afflux massif d’A. ephippiger (Lambret & Deschamps, 2013). Doit-on conclure hâtivement que les individus d’A. parthenope observés précocement viennent du Sahara ? C’est sans doute aller vite en besogne sachant qu’il est possible que des individus aient déjà émergé à la fin de mars dans le sud de l’Espagne, voire dans le sud de la France. Doit-on s’attendre à une augmentation de ces épisodes de vents sahariens avec le changement climatique ? D’après le site Web de Météo France, c’est un phénomène connu des régions méditerranéennes, moins dans les régions plus septentrionales et rien n’indique que ces épisodes soient plus nombreux que par le passé https://meteofrance.com/actualites-et-dossiers/magazine/questions/ciel-orange-et-sable-dou-vient-ce-phenomene.

Doit-on s’attendre à une augmentation des observations précoces d’A. parthenope en France avec le changement climatique ? Il n’est pas interdit de penser que des températures hivernales plus douces permettent des émergences plus précoces dans le sud de notre pays, pour le Grand Parc de Miribel Jonage, l’avenir nous le dira.


Références

Boudot, J-P., Grand D., Wildermuth, H. & Monnerat, C. (2017). Les libellules de France, Belgique, Luxembourg et Suisse. Biotope, 2nd éd., 456 p.

Corbet, P. S. (1957). The life-history of the emperor dragonfly Anax imperator Leach (Odonata: Aeshnidae). The Journal of Animal Ecology, 26(1): 1-69

Corbet, P. S. (1999) Dragonflies: Behavior and Ecology of Odonata. Harley Books, Colchester xxx + 829 p

Lambret, P., & Deschamps, C. (2013). Bilan de la migration d’Hemianax ephippiger (Burmeister, 1839) en France en 2011 (Odonata, Anisoptera: Aeshnidae). Martinia, hors-série, 29-46.


Rédacteurs : Hugodonata (Hugo ROBUSCHI) & Régis KRIEG-JACQUIER